Une interview en francais par Lula pour Le Tag Parfait! Merci Beaucoup.
Le Tag Parfait ne m’a pas payé l’aller-retour Paris-Madrid –
SCANDALE. Heureusement, l’Internet est la nouvelle Amérique et des
millions de petits Christophe Colomb 2.0 œuvrent au quotidien en faveur
de l’abolition des frontières. C’est cette conquête du monde moderne qui m’a permis d’interviewer Sandra Torralba, jeune photographe espagnole dont j’ai découvert certains travaux [beaux, fous, intelligents] au MoSex de New York, en février dernier.
Tu as étudié la psychologie (à Madrid et à Londres) avant de
suivre un cursus artistique. Qu’est-ce qui t’a amenée à la photographie ?
Quand
j’étais enfant, je pensais que je serais écrivain. J’ai rédigé ma
première histoire aux alentours de 7 ans. Je réalisais également des
« comics photographiques ». Ado, je me voyais bien actrice de théâtre
(dramaturge et photographe aussi !), mais j’adorais les sciences, donc
je suis entrée en fac de médecine. Je me souviens avoir changé d’avis
plusieurs fois, me demandant si je ne devrais pas mieux étudier les arts
ou le journalisme, voire la psychologie dont je raffolais. Mais je me
disais qu’il était préférable de commencer par « le plus difficile ».
J’ai abandonné la médecine en troisième année. J’aurais pu être un bon
docteur, mais c’était prenant et pénible. J’ai ainsi bifurqué vers le
social, me préoccupant des aspects sociologiques de l’existence, après
m’être préoccupée de ses aspects biologiques. En parallèle, j’ai suivi
des leçons de thérapie sexuelle pour la même raison : approfondir ma
compréhension de la sexualité. En 2004, mon compagnon et moi avons
déménagé au Royaume-Uni. Je n’en avais pas vraiment envie, mais une fois
sur place, j’ai senti que je devais tirer le meilleur de cette
expérience. Je me suis inscrite à un cours de « counseling humaniste »,
puis à un master de psychothérapie intégrative, et j’ai entre autres
travaillé dans un établissement de réadaptation spécialisé dans les
maladies mentales graves. J’ai fini par obtenir mon diplôme en
psychologie. La dernière année, j’en ai eu assez. Les récits de mes
clients, leurs horreurs, mes propres problèmes, tout ça me pesait.
J’avais alors repris la photographie et ce hobby me captivait de plus en
plus. De retour en Espagne, j’ai décidé de suivre des cours de photo et
d’avoir une activité de thérapeute à temps partiel. Quand la
photographie a pris le dessus, je me suis sentie plus heureuse et plus
légère ! Je n’ai pas oublié la psychologie qui influence
considérablement mon travail et ma vie, je l’ai juste autorisée à
occuper moins de place. Je n’ai aucun regret. Tous mes centres d’intérêt
se sont toujours trouvés là, interagissant les uns avec les autres.
Sénèque aurait dit : « La chance, c’est quand la préparation rencontre l’opportunité ». Cela illustre mes cheminements de carrière ; les occasions se sont présentées et je les ai suivies.
Quel lien fais-tu entre l’art et la psychologie ?
Pour
moi, l’art et la psychologie concernent tous deux la communication et
les émotions humaines, donc quelque part, ils se nourrissent
mutuellement. Mon travail est ancré dans mon expérience, dans mon être.
Pourquoi te mets-tu en scène dans tes photos ?
Mon
travail est très personnel, mais pas autobiographique. J’usurpe
l’identité de mes personnages dans un souci de justesse. Cela a beaucoup
à voir avec la psychothérapie, n’est-ce pas ? Je crois (et c’est
obligatoire dans la psychothérapie et les formations en conseil) qu’il
faut explorer ses propres problèmes avant d’essayer d’explorer ceux des
autres. Je trouve plus honnête et plus audacieux de parler de mes
sentiments personnels, de mes peurs et de mes doutes. Je me fais donc
porte-parole de mon message. L’honnêteté est un bon moyen d’atteindre
les autres. Nous avons tendance à projeter ou nier nos émotions, à
tomber dans l’hypocrisie, à nous cacher et à avoir honte. Avec mes
photos, je veux faire l’exact opposé. Ce n’est pas une forme de thérapie
(j’ai fini mon analyse !), mais une façon de penser et de parler, de
poser des questions, de soulever des thèmes qui m’importent, et
d’entamer un dialogue avec le spectateur, moi y compris.
Techniquement, comment travailles-tu à la fois devant et derrière l’objectif ?
Au
début, c’était facile. Mes photos étaient plus simples et tout ce dont
j’avais besoin, c’était de moi et de l’appareil. Et puis, je me sentais
timide devant les autres ; il faut avoir une bonne dose de confiance
dans son travail et ses compétences pour réussir à demander de l’aide.
C’était quelque chose sur lequel je devais progresser. Quand mes
productions sont devenues plus importantes et complexes, j’ai commencé à
avoir besoin des autres, devant et derrière l’objectif. Je travaille
encore beaucoup toute seule, je suppose que je continue de trouver ça
émotionnellement plus facile, plus intime et tranquille, mais certains
clichés nécessitent du soutien extérieur. Donc comment ça se passe ?
Normalement, j’ai une idée très claire de ce que je veux et de ce dont
j’ai besoin. Alors j’écris mon idée, ce que je veux faire passer, ce que
cela signifie, je fais des dessins ou des photocompositions pour
expliquer exactement où chaque élément sera situé, quelle sera l’action,
quel sera le sentiment évoqué… Et pendant la séance photos, tout le
monde sait ce qu’il a à faire. Après un certain nombre de prises, je
regarde mon travail et corrige ce qu’il y a à corriger, jusqu’à obtenir
l’image voulue.
De quelle façon recrutes-tu tes modèles ? Comment les diriges-tu ensuite ?
Ça
dépend. Je fais beaucoup appel à ma famille et à mes amis. Les photos
sont encore plus chargées de sens lorsqu’ils posent pour moi. Parfois,
j’ai besoin de personnes avec des caractéristiques spéciales donc je
demande autour de moi et par le biais de mon blog ou de Facebook. Ou
bien cela peut prendre plus de temps. Pour certains clichés, ça a mis
plus d’un an !
Tes photos parlent beaucoup de solitude. Tu penses que c’est un mal moderne ?
Le
mal moderne serait pour moi la dénaturalisation, la déshumanisation, la
façon dont nous semblons combattre et cacher notre animalité, notre
humanité, pour devenir des machines. La solitude, la tristesse et le
bonheur sont, d’après moi, des états émotionnels naturels. Le seul
problème est que l’on ne nous apprend pas à les gérer instinctivement.
Idem avec l’ambivalence ou l’incertitude, nous semblons avoir tellement
de mal avec ces notions, comme si nous n’étions sûrs de rien. Dans ce
domaine, beaucoup de superbes écrivains français ont participé avec brio
à l’élaboration de ma pensée : David Le Breton, Bourdieu, Baudrillard,
Camus, etc.
Ta première série photographique s’intitule
« The Ideal Man » et représente une femme en compagnie de l’homme idéal
invisible, la dernière, « Estranged Sex »,
met notamment en scène des couples qui n’ont pas l’air de se voir.
Quelle est ta perception des hommes, des femmes et des relations
hommes-femmes ?
« The ideal man »
est une parodie des sexes. L’homme idéal y est idéal, sauf qu’il
n’existe pas, et la femme semble très heureuse face à cette illusion.
« Estranged sex » se veut plus complexe. Chaque image a sa propre
histoire cachée, mais toutes explorent l’étrangeté que nous avons créée
autour de nos corps, de notre sexualité, de nos relations, montrant à
quel point nous nous en sommes éloignés. À ce niveau, je crois que les
hommes et les femmes sont tout autant pris au piège, pas de la même
manière ou via les mêmes ruses, mais pareillement coincés et aliénés, de
par leur faute.
Et ta perception du sexe ?
Le
sexe et la sexualité sont des concepts très larges dont on parle à tort
et à travers, ce qui a tendance à les dénaturer ou les rendre plus
effrayants qu’ils ne sont. Mais, en substance, ils peuvent s’avérer très
simples. Car n’oublions pas, le sexe est surtout une question
d’amusement et de plaisir.
Tu regardes du porno ? Quels sont tes tags préférés ?
Oui, il m’arrive de regarder du porno. Mes tags préférés ont changé au fil du temps, à l’instar de mes fantasmes.
Qu’est-ce que tu aimes et/ou n’aimes pas dans la pornographie d’aujourd’hui ?
J’aime
le fait que l’on soit plus ouverts face à la pornographie, que ce soit
devenu plus « normal » et que l’on voie apparaître des types d’images
qui répondent à tous les goûts. Mais c’est aussi ce qui me laisse
souvent perplexe. Sentir que chaque jour il est possible de trouver
quelque chose de nouveau : dans le porno, beaucoup de pratiques sont si
perturbantes. Ce qui me dérange le plus, c’est le porno très violent.
Fréquemment, je découvre de nouvelles « tendances » que je n’aurais
jamais pu imaginer, et je trouve certaines d’entre elles profondément
troublantes et étranges. Donc j’y réfléchis, jusqu’à ce que j’arrive à
les comprendre. Ça ne signifie pas que je vais les aimer, mais au moins
je vais définir leur provenance. Par exemple, le bukkake et le gokkun me
paraissent aujourd’hui très communs, mais au début, j’étais très
choquée. À l’origine, le bukkake est lié à l’humiliation. En fait, on
imagine sans problème en quoi cela peut exciter quelqu’un, on conçoit
les raisons, autres que la simple dimension humiliante. Maintenant,
comprendre une chose ne signifie pas l’accepter passivement : nous
pouvons tous apporter un peu de critique dans le porno. Il y a d’autres
choses qui me dépassent, telles que les lavements ou cette pratique qui
consiste à gonfler les lèvres du vagin avec une pompe avant d’avoir des
rapports sexuels. Et il y a des choses que je déteste tout court, comme
le sexe violent où l’on cogne, crache et traite l’autre comme de la
merde, ou la fellation en mode « gorge profonde » qui conduit au
vomissement…
Était-ce le point de départ de ta série « Estranged Sex » ? Sinon, d’où t’est venue l’idée ?
La
volonté initiale du projet « Estranged Sex » était de créer des images
comportant des éléments sexuels et pornographiques, mais qui ne
déclencheraient pas l’excitation. Il s’agissait de présenter un paradoxe
qui mènerait le spectateur à se poser des questions. Et cela devait
être amusant.
Tu utilises aussi le support vidéo et le support texte. Pourquoi ?
Différents médias offrent des possibilités de communication différentes.
Comment les gens réagissent-ils par rapport à ce projet ?
Cela
dépend des individus et des images. Des images déclenchent des rires
chez certains et en gênent d’autres. Mais les gens semblent penser à eux
et souvent ils viennent vers moi avec une approche de négociation,
prêts à discuter. Jamais ils ne se contentent de me fermer la porte.
Toi, qu’est-ce qui serait susceptible de te choquer ?
Beaucoup de choses, tout ce que je ne sais pas peut me choquer.
J’ai découvert ton travail au MoSex de New York. Quelle est l’histoire de cette exposition ?
Ils
m’ont contactée et commandé l’exposition. J’ai été ravie de collaborer
avec eux et de l’opportunité qu’ils m’ont donnée. Lorsque l’exposition
s’est terminée, je leur ai offert toutes les photographies exposées,
pour leur collection permanente.
Tes œuvres voyagent. Ça te fait quoi ?
Je
suis envieuse ! Je voudrais voyager avec elles. Je plaisante. Je suis
ravie que mon travail soit vu à l’étranger. C’est magnifique.
Tu parviens à vivre de ton art ?
Non.
Mon mari a un emploi solide et nous nous appuyons sur ses revenus. Je
travaille comme photographe professionnel, mon activité augmente de jour
en jour, mais mes gains fluctuent, de sorte que j’apporte une bonne
contribution financière à notre ménage, mais qui ne suffit pas pour
vivre. Cela me permet toutefois d’organiser des expositions qui
engendrent toujours de grandes dépenses !
Un nouveau projet en route ?
Mon
premier petit garçon est né au début de cette année et, combiné avec le
travail, cela ne me laisse pas beaucoup de temps libre pour des projets
personnels, mais je suis en train de travailler sur « The Hope´s
Crevice » qui le met en scène, lui et ma grand-mère.
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